Mais où avais-je la tête? Comment une personne qui a toujours aimé les enfants peut-elle décider d’avorter?

Je me suis posé la question pendant des années, car il s’agit de mon propre vécu.

Lorsque j’étais dans la vingtaine, la société et les médias célébraient le droit de choisir de la femme. Il s’agissait d’un choix banal : si l’on tombait enceinte, on pourrait régler le problème sans que personne le sache. Personne ne serait victime de ce choix : un fœtus n’était pas un bébé avant d’atteindre un stade de développement non spécifié. Peut-être même ne devenait-il humain qu’après la naissance. À l’époque, je croyais qu’il ne s’agissait que d’une masse de cellules dont on pouvait se débarrasser facilement. Si quelqu’un osait dire qu’il s’agissait d’un acte immoral, ce n’était que parce que la personne en question était étroite d’esprit, ignorante, opprimante et dangereuse. On avait sûrement le droit de décider de ce que l’on faisait de notre corps, de notre destin.

Cela me semblait clair : ma mère m’avait toujours dit que les enfants étaient un piège. La vie de couple de mes parents était difficile et violente, en partie parce que mon père était alcoolique et infidèle et parce que ma mère avait subi des traumatismes crâniens qui l’avaient laissée instable mentalement. Parfois, elle se disait misérable parce qu’elle n’avait pas choisi d’avorter ses enfants. Elle nous avait donné la vie parce qu’elle pensait qu’en faisant ainsi, elle forcerait son mari à demeurer fidèle, mais cela n’a pas eu l’effet désiré. Il a continué à commettre l’adultère, et elle s’est sentie piégée. Cette façon de penser était malsaine, fausse. Je savais au plus profond de moi que je ne voulais pas suivre ses traces en tant qu’adulte. J’aimais les enfants, et je désirais désespérément fonder ma propre famille.

Mais, sans m’en rendre compte, je me suis trouvée attirée par des hommes qui ressemblaient à mon père, non physiquement, mais moralement.

On s’attendait à avoir des relations sexuelles pendant les fréquentations; j’aimais ça, et j’espérais que cela mènerait à une relation permanente. Mais ce n’était pas le cas. Quelques années après la fin de mes études, alors que je travaillais comme journaliste pour un quotidien, je suis tombée enceinte. Mon petit ami de longue date était le père. J’utilisais des moyens de contraception, et la nouvelle m’a surprise et m’a remplie de crainte. Mais au fin fond de moi, il y avait aussi la joie de savoir que mon désir de fonder une belle petite famille devenait réalité. Je me trouvais gênée; j’avais honte d’admettre que je n’avais pas su prévenir une grossesse. Mais je me souviens aussi que je désirais ce bébé et que j’espérais ardemment que mon petit ami réagirait à la nouvelle avec surprise et joie. Mais il était fâché. Il m’a avoué qu’il m’était infidèle, mais qu’il abandonnerait cette autre femme pour revenir vers moi si je décidais d’avorter. Mes rêves partirent en fumée à la découverte que je me trouverais seule si je décidais de garder le bébé.

La société me disait que j’étais libre de choisir; mais j’avais l’impression qu’il n’y avait qu’une option. Ma mère ne m’offrait aucun soutien. La société ne voyait pas d’un bon œil les mères célibataires. Mes employeurs étaient exigeants, et je me disais qu’ils allaient sûrement me licencier plutôt que de permettre à une journaliste célibataire enceinte de travailler à leur compte. Dans notre petite communauté conservatrice, j’avais déjà vécu des expériences négatives avec des gens religieux, et je m’attendais à leur condamnation si je décidais de garder l’enfant. L’adoption me semblait impensable : comment pourrais-je laisser tout le monde me voir enceinte, pour ensuite confier le bébé aux soins d’une autre famille? La société me disait que j’avais le droit de choisir l’avortement, mais à mes yeux, il n’y avait pas d’autre choix.

J’ai pris rendez-vous, soulagée d’avoir pris une décision. Je me disais qu’il ne s’agissait que de l’ablation d’une masse de cellules. Ce n’était pas comme si je blessais quelqu’un. Personne ne m’a dit autrement. Il me semblait que si mon choix n’était pas le bon, quelque chose arriverait pour m’empêcher d’aller de l’avant. Je me pensais chrétienne, même si je ne fréquentais aucune église. J’ai demandé à Dieu de faire en sorte que le rendez-vous soit annulé, que la machine cesse de fonctionner, que mon petit ami change d’avis, etc. Mais rien de tout cela n’est arrivé, et donc, j’ai réglé le problème. Je voulais simplement poursuivre ma vie comme si de rien n’était.

L’avortement

Peut-être pensez-vous qu’une femme instruite connaîtrait les détails du développement fœtal, mais ce n’était pas le cas pour moi. La conseillère que mon médecin m’a suggérée de rencontrer m’a offert une brochure expliquant le développement fœtal, mais je ne voulais rien savoir. Ce n’était pas le but de mon rendez-vous; je voulais plutôt parler de mes problèmes relationnels.

Les indices qu’il ne s’agissait pas simplement d’une masse informe étaient là, mais je ne voulais pas les voir. Il fallait le faire au plus vite, même s’il ne s’agissait pas encore d’un bébé, selon les dires des autres. Mon médecin a refusé d’avorter, mais sans me dire pourquoi. Elle m’a donné l’information concernant la clinique d’avortement, mais en suggérant fortement que je consulte en premier un conseiller d’un centre d’aide pour femmes enceintes. Cela m’a offusquée, car je croyais que de tels centres existaient pour les femmes violées ou pour des adolescentes, et non pour les adultes indépendantes et instruites comme moi. D’ailleurs, mes amies libérales et féministes, et la société en général, venaient appuyer l’avis de ma mère, voulant que l’avortement soit un choix positif.

Je m’attendais à recevoir des renseignements qui m'éclairent sur le choix à prendre au rendez-vous préparatoire. Je m’attendais à ce que quelqu’un me demande si c’était vraiment ce que je voulais. Mais le rendez-vous était bref, froid, impersonnel. Aucun choix ne m’était offert. Une infirmière — ou peut-être une simple employée — m’a expliqué que je serais réveillée pendant l’intervention, que mon col serait gelé, et qu’une machine enlèverait les produits de la conception. Je lui ai demandé si je pouvais prendre quelques semaines pour y réfléchir, et elle a réagi négativement, en me disant d’un ton sévère que plus j’attendais, plus l’intervention serait complexe et que si j’attendais trop longtemps, il faudrait que je me rende à une autre clinique. Elle ne m’a pas parlé des stades de développement fœtal, elle ne m’a pas offert d’échographie, et elle m’a laissé entendre que ce serait bête de ma part de chercher une autre solution.

Et donc, je l’ai fait, et cela m’a laissé avec des sentiments de soulagement, de tristesse, de désespoir et de vide. J’ai continué à vivre ma vie, mais avec un cœur endurci. J’ai mis un terme à ma relation avec mon petit ami; je ne pouvais pas lui pardonner le fait qu’il m’avait abandonné pour que je règle seule le problème. Et j’ai défendu mon choix, en disant à mes amis qu’il était sage de choisir l’avortement en cas de grossesse non désirée.

Quatre ans plus tard, mariée à l’homme qui est mon mari jusqu’à ce jour, j’ai découvert que j’étais enceinte, à notre grande joie à nous deux. Pendant notre premier rendez-vous chez le médecin, le médecin a confirmé que l’enfant avait 10 semaines. Nous étions très contents : mon mari, mon médecin et moi… Mais alors, le médecin nous dit : « Si vous voulez, nous pouvons essayer d’entendre le battement du cœur aujourd’hui. » Mon monde s’est viré à l’envers. J’ai accepté son offre en souriant, mais au fond de moi, je criais, gelée.

Le fœtus que j’avais avorté, mon premier bébé, avait au moins 12 semaines.

Je me rappelle le reste de ce rendez-vous comme s’il s’agissait d’un rêve au ralenti : le gel sur l’abdomen, la sonde Doppler sur mon ventre, le doux boom, boom, boom du cœur de mon bébé. Il n’y avait aucune joie : seulement un sentiment profond d’horreur. Je venais de comprendre que j’avais permis à quelqu’un de m’ouvrir le col pour enlever mon bébé et le mettre dans un récipient qui contenait probablement d’autres bébés en pièces. C’était un bébé, et non une masse informe. Son cœur battait, même si je ne l’avais jamais entendu. Il s’agissait bel et bien d’un être vivant, jusqu’au moment de l’avortement, mais il n’y avait aucune façon de revenir en arrière.

C’était le début d’un cheminement sombre pour moi. Je me suis réjouie de la grossesse et de la naissance de mon fils, mais j’avais toujours l’ombre de cet autre enfant à mon esprit. J’étais certaine que Dieu allait me punir pour ce que j’avais fait, qu’il allait peut-être même m’enlever ce nouvel enfant. Mon mari et mes amis ne savaient pas m’aider; ils pensaient que je devrais tout simplement laisser tomber ces pensées. Ils ne voulaient pas penser de ce premier bébé comme étant un bébé, un vrai. Ils pensaient que ma réaction était anormale, trop émotive. Ils me disaient de célébrer le fait d’être mère, de trouver ma joie dans l’enfant que j’avais, et d’arrêter d’imaginer ces atrocités. Mais je n’y arrivais pas; je me sentais condamnée, et seule à vivre ce deuil.

Le pardon parfait

Depuis que j’avais entendu ce battement de cœur de mon bébé, je n’avais pu m’empêcher de songer à cet autre bébé, celui dont je n’ai jamais entendu le battement de cœur, celui dont le cœur a cessé de battre lorsque je me suis fait avorter.

La date prévue pour l’accouchement de ce premier enfant était à la mi-mars, et chaque année, vers cette date, je me sentais seule, déprimée, remplie de regrets. Maintenant que j’étais mère, ces sentiments étaient plus intenses que jamais. Parfois, lorsque je me trouvais seule, en train d’allaiter mon fils, je pleurais à la pensée de ce que j’avais fait. J’étais remplie de remords, même si tous les gens qui m’aimaient me disaient que je devrais m’en remettre, que ce premier bébé ne comptait pas, qu’il n’était pas réel.

Mon mari et moi avions commencé à fréquenter une église pour satisfaire au désir de mon mari de suivre la tradition. La pasteure avait des idées très modernes, et elle m’a dit que j’avais besoin de laisser le passé derrière moi, que je ne devrais pas céder à ces sentiments de condamnation, car il s’agissait d’un choix légitime de ma part. J’ai arrêté d’en parler; j’ai caché mes émotions des autres. Mais je me disais constamment que Dieu allait sûrement me punir pour ce que j’avais fait, peut-être même en enlevant la vie à mon fils, qui avait maintenant deux ans.

C’est alors qu’un jour, en lisant le journal, j’ai vu une annonce qui posait la question : « Regrettes-tu ton avortement? » Personne ne m’avait dit que le regret était un sentiment légitime. J’avais plutôt l’impression qu’il fallait accepter l’avortement et soutenir ce choix. On m’avait convaincu qu’il s’agissait du meilleur choix possible pour une femme dans ma situation passée. Même les experts l’affirmaient : j’avais lu un livre concernant la santé des femmes qui affirmait que seules les femmes qui souffraient de maladies mentales regrettaient leur avortement. Tu parles d’une motivation à cacher ses sentiments! Donc, j’étais très surprise de voir cette annonce cibler des femmes comme celles-là, des femmes comme moi. Je voulais plus de renseignements.

L’annonce avait été placée par l’un de ces centres d’aide à la grossesse que j’avais moqués à l’époque, qui offrait une étude biblique pour les femmes qui avaient subi un avortement appelé « Pardonnées et libres ». Je crois que j’ai soupiré profondément en lisant ce titre parce que je désirais tellement me trouver libre de la culpabilité et de la condamnation qui pesaient sur moi. Mon mari a réagi avec incrédulité lorsque je lui en ai parlé. Ma pasteure m’a conseillé de ne pas y aller, en disant que ces endroits me laisseraient plus coupable que jamais. Mais je n’arrivais pas à oublier l'annonce, et, malgré leurs conseils au contraire, j’ai téléphoné au centre pour parler de l’étude. La femme qui a répondu à mon appel était chaleureuse et compatissante. Elle m’a avoué qu’elle avait subi un avortement par le passé et qu’elle voulait aider d’autres femmes à surmonter le deuil et la culpabilité qui suivent souvent cet acte. Je me suis inscrite à l’étude.

Une amie bien intentionnée a offert de me conduire à la première séance et d’attendre dans l’auto si jamais je voulais quitter la réunion, mais j’ai décidé de m’y rendre seule. L’animatrice, qui partageait mon vécu, m’a accueillie chaleureusement. Au cours de ces études bibliques, j’ai appris à affronter la vérité, à pardonner à toutes les personnes qui avaient participé à cet acte avec moi, et à me pardonner pour ce que j’avais fait. Mais plus important encore, j’ai appris que Dieu est miséricordieux et gracieux, et non le Dieu condamnateur et punisseur que je m’imaginais. J’ai appris la puissance libératrice qu’il y a à reconnaître pleinement sa faute, en avouant qu’il s’agissait d’un péché, pour ensuite accueillir le plein pardon que Dieu m’offrait grâce à Jésus. C’est ainsi que je me suis trouvée tranquillement libérée de mon passé. Il ne s’agissait plus d’un fardeau lourd qui pesait sur mon cœur, bien que je regrettais ce choix et que je vivais le deuil de la perte de ce petit être précieux que je n’avais pas su protéger de la mort. Je me sentais mieux, même si parfois, j’essayais d’excuser ce que j’avais fait. Mon mari, témoin de ma transformation intérieure, a commencé à comprendre mon besoin de guérison. Il a changé d’opinion concernant l’avortement et j’ai pu partager avec lui tout ce que j’apprenais.

À la fin de cette série d’études bibliques, l’animatrice m’a encouragé à participer à une autre étude biblique. J’ai choisi de me joindre à une étude du livre de Romains. C’est en étudiant cette lettre que je suis venue à comprendre que nous pouvons tout admettre à notre sujet, même les choses les plus terribles, parce que rien de tout cela ne prend Dieu par surprise. C’est le verset trouvé en Romains 5.8 qui résume pour moi cette pensée extraordinaire : « Car Dieu prouve son amour envers nous, en ce que, lorsque nous étions encore pécheurs, Christ est mort pour nous. » Le fait que Dieu m’aimait — alors même que je choisissais de faire des choses qui lui brisaient le cœur — m’a touchée profondément. La profondeur de son amour a captivé mon cœur. J’ai finalement compris que je pouvais accepter cet amour et l’aimer en retour, et faire partie de la famille véritable que je recherchais depuis si longtemps — la sienne.


Source de la photo : Riccardo Fissore