J’ai vécu mentalement cette scène dix mille fois : Barry, mon mari, rentre à la maison et m’annonce qu’il a une surprise pour moi. Il me demande quelle est la chose que je désire le plus au monde. Je suis d’abord interloquée, puis quand je le regarde dans les yeux, je sais. Il n’a pas besoin de le dire, mais il le dit quand même : « J’ai confié ma vie à Jésus-Christ. »

Pourtant, après des années d’espoir, d’attente et de prière, ce n’est toujours qu’un joli rêve.

Il y a vingt-huit ans que nous nous sommes rencontrés et que nous nous sommes mariés. Cela avait été un coup de tête. Il aimait mes cheveux alors roux et mes yeux verts, et j’aimais ses épaules larges et son sens de l’humour. En plus, je me sentais si bien avec lui! Nous n’étions pas croyants et ne savions pas ce que l’avenir nous réservait.

Nous pensions juste que ce serait une bonne idée de vivre ensemble.

Les trois premières années de notre mariage furent une succession de fêtes et de parties de softball, couronnées par la naissance de notre première fille. Ensuite, presque sans m’avertir, Dieu m’a invitée à vivre une relation personnelle avec lui. J’avais entendu quelques chrétiens au bureau parler de Dieu et je leur avais posé quelques questions. Et puis un jour, après une longue conversation avec Rita, une collègue de bureau, j’ai prié une prière toute simple : « Jésus, délivre-moi! » Et cette prière a changé définitivement ma vie et mon mariage, tel que je le concevais.

Malheureusement pour Barry, je suis devenue instantanément une odieuse « fanatique de Jésus ». Je n’ai pas partagé ma nouvelle foi avec mon mari avec amour et douceur — croyez-moi, j’ai écrit le manuel sur comment ne pas amener votre conjoint à Christ. Je ne parlais pas, je prêchais. Je n’exprimais pas paisiblement ma nouvelle foi, je criais sous tous les toits chaque nouveau changement dans ma vie. Je disais : « Regarde ce que Dieu a fait dans ma vie! Regarde comme je suis devenue aimante et humble! » Je priais à haute voix en sa présence et faisais en sorte qu’il sache qu’il était un pécheur destiné à l’enfer. J’ai même emballé des tracts d’évangélisation avec son repas de midi. J’ai aussi ajouté un verset biblique à chacune des notes que je lui écrivais.

Barry, et c’est tout à son honneur, est resté d’une patience exemplaire. En général, il évitait mes déchaînements religieux en allant faire un tour en voiture. De temps en temps, il se fâchait et me criait d’arrêter de lui parler de toutes ces histoires de Jésus. Barry m’a avoué qu’il avait jeté à la poubelle les tracts parce que cela le gênait vis-à-vis de ses amis. De temps en temps, son visage s’assombrissait et il disait qu’il voudrait bien voir sa « vieille femme » revenir, sans Jésus.

Nous sommes bientôt devenus comme chiens et chats. Je me disais que tous nos problèmes étaient causés par son manque de foi. Je m’imaginais que si nous étions tous les deux chrétiens, la vie serait alors toujours en rose. J’ai même été plus loin en n’écoutant que de la musique chrétienne, en laissant traîner des Bibles dans tous les coins de la maison, et en pleurant et en le suppliant de venir à l’église avec moi. Barry m’y accompagnait de temps en temps, mais alors, au lieu de me réjouir de sa présence, je mordillais nerveusement mon crayon et priais que ce soit Le Grand Jour. Pendant les trajets de retour en voiture, je l’interrogeais et lui demandais : « Qu’as-tu pensé du sermon? As-tu aimé la musique? » » C’était pas si mal », répondait-il. « Est-ce qu’il reste assez de dinde dans le frigo pour le repas? »

Pendant le reste du trajet, je restais silencieuse et ravalais mes larmes et mes paroles de colère. Comment ne se rendait-il pas compte de son besoin de Jésus? Je fulminais. Alors voyant ma déception, Barry me tapotait la main et me disait : « Écoute, je crois en Dieu, mais pas de la même manière que toi. » Ce n’était pas du tout ce que je voulais entendre.

Et puis quelque chose d’inattendu s’est passé. J’ai lu un livre sur l’intercession et j’ai tout d’un coup compris. Je me suis dit : « Voilà! Je vais prier pour Barry pendant quatre-vingts ans s’il le faut. Et je vais l’aimer. Point final. »

Cela fait vingt-cinq ans. Et je prie toujours pour lui. Et je l’aime toujours. Mais je ne suis plus isolée dans ma tour à attendre désespérément que le salut de mon mari vienne tout améliorer. Au contraire, j’ai décidé que si cela devait prendre quatre-vingts ans, il vaudrait mieux que ces années soient les meilleures possibles pour nous deux en dépit de nos différentes croyances.

Au début de ma conversion, je pensais que Dieu avait fait une erreur en me convertissant avant Barry. Mais je sais maintenant que Dieu ne fait jamais d’erreur. 

La façon dont je vois les choses, c’est que Dieu a un plan pour chacun de nous. Malgré tous mes efforts, je ne peux pas transformer le cœur de quelqu’un d’autre. Je ne peux ni contraindre ni supplier mon mari de devenir chrétien. En réalité, quand j’essaie de le faire, je ne réussis qu’à le braquer. Et quand je commence à le harceler, il grimpe dans son camion et s’en va rouler sans but pendant des heures.

Il y a longtemps que j’ai décidé que c’était le travail de Dieu de changer les cœurs. Cette décision me permet de poursuivre ma relation avec Dieu sans me charger du fardeau de convertir mon mari. Tout ce que je dois faire, c’est l’aimer et profiter de la vie avec lui. C’est le plan de Dieu pour moi, et il me donne toute la grâce dont j’ai besoin pour le faire.

Cela ne veut pas dire que je ne me sens pas seule de temps en temps ou que je suis parfaite. L’autre jour, j’ai attrapé Barry par la manche et j’ai crié en le regardant droit dans les yeux : « Ne vois-tu pas Jésus en moi? » Étonné par l’ironie de la question, il a rit et m'a répondu : « Oui. » Cela m’aide de me souvenir que Barry n’est pas mon ennemi, mais mon mari. Je suis autant pécheresse que lui, peut-être plus parce que j’ai le pouvoir de dire non au péché et que je ne le fais pas toujours.

Voici quelques choses que j’ai apprises au cours de ces vingt dernières années :

Malgré tout, je suis parfois découragée. Quelquefois, je m’assieds dans mon fauteuil marron et je me demande si Dieu entend mes prières. Ou bien je compte les couples à l’église et cela me fait souffrir parce que peu d’entre eux connaissent mon mari. Ou bien j’entends le témoignage de la conversion d’un mari et je me demande pourquoi le mien ne se rend toujours pas compte de ses besoins. Mais il y a des fois où Barry manifeste plus de foi que moi. C’est une blague entre nous. Je suis celle qui dit que j’ai la foi et il est celui qui la vit.

Il me demande toujours pourquoi je me fais du souci pour tout. « Dieu prend toujours soin de nous », dit-il. Barry sait quasiment toujours ce qu’il faut faire pour le bien de notre famille. Je crois que mon mari est béni parce que Dieu nous voit comme une seule chair. Je n’ai pas de me tracasser. Dieu est souverain sur tout.

La vérité, c’est que je ne verrai peut-être jamais Barry aller à l’église. Cela dit, j’ai l’espoir de le voir au paradis. Je sais qu’il vient de la main du Dieu d’amour qui ne donne que le meilleur à ses enfants.