À dix-neuf ans, je me suis retrouvée, sans le savoir, à un moment décisif de ma vie. Un inconnu s’est adressé à moi en disant : « Prends garde, John a les yeux sur toi. »

En me montrant du doigt, John avait dit à ce collègue : « Tu vois cette fille? Je vais la raccompagner chez elle, ce soir. » Il avait une idée en tête à mon sujet. Avec mon accord, cette idée est devenue un projet d’avenir rempli d’espoir. Ce projet devait durer pour toujours — ou du moins jusqu’à ce que l’on atteigne quatre-vingt-dix ans tous les deux. Pourtant, tout ceci s’est terminé prématurément. Le cancer a emporté John vers sa nouvelle vie au ciel beaucoup plus tôt que nous ne l'avions prévu.

Lorsque j’étais petite fille, je rêvais d’être enseignante et de me marier. J’ai réalisé ces deux rêves assez tôt dans ma vie. Malgré leurs défis, ces rêves convenaient particulièrement à ma personnalité. J’étais heureuse d’être l’épouse de John et j’aimais l’enseignement. J’ai mis un terme à ma carrière à l’âge de vingt-six ans, mais par la suite, j’ai eu des occasions d’enseigner bénévolement à des groupes d’adultes et d’apprécier l’enseignement encore plus qu’auparavant. Puis, au cours des quatorze années suivantes, John et moi avons animé ensemble des colloques sur le mariage partout au Canada.

Vivre sa vie à moitié

Peu de temps après la mort de mon mari, quelqu’un m’a demandé : « Est-ce que beaucoup de choses ont changé pour toi? » Sans même prendre le temps de réfléchir, j’ai répondu : « Tout a changé! » C’est du moins ce que je ressentais. Y avait-il un avenir pour moi? Quel espoir me restait-il?

John et moi croyions tous les deux que Jésus était mort sur la croix pour nous libérer afin que nous puissions vivre éternellement avec lui. Cet espoir et cette vie éternelle étaient d’un grand réconfort. Mais pendant des mois, j’ai été tentée de croire que ma vie ici-bas était terminée.

Après la mort de mon mari, les gens ont commencé à me demander comment je m’en sortais. J’ai vite compris qu’il était essentiel que je m’en sorte bien. Je devais subvenir à mes besoins, alors j’ai repris le travail. Je devais voir des gens, alors j’ai continué à aller à l’église. J’acceptais à peu près toutes les invitations que je recevais. Je vivais un jour à la fois et même si j’avais l’impression d’être dans le brouillard, n’accomplissant les choses qu’au fur et à mesure qu’elles se présentaient, je projetais l’image d’une veuve qui s’en sort assez bien.

La joie et la peine ne sont pas incompatibles

Je ne m’attendais pas à ce qu’on puisse ressentir à la fois autant de peine et de joie. Je ne savais pas que Dieu avait les yeux sur moi, qu’il me ferait la cour et que je serais en amour avec lui d’une façon tout à fait nouvelle.

Un matin, je me suis réveillée avec un chant en tête. Pour savoir de quel chant il s’agissait, j’ai commencé à le fredonner. C’était un vieil hymne qui disait : « Jésus marchera avec moi, il marchera avec moi, dans la joie ou le chagrin, aujourd’hui ou demain, je sais qu’il marchera avec moi. » Je me suis mise à pleurer, envahie par ce message d’amour de Dieu, mais aussi en raison de l’amour pour Dieu qui débordait de mon cœur en retour.

Un jour, j’écoutais un message durant lequel on nous invitait à poser quelques questions à Dieu, entre autres : « Demandez à Dieu comment il vous voit en ce moment. » Encore une fois, j’ai été prise au dépourvu en voyant apparaître dans ma tête une image me représentant sous la forme d’un cœur, un cœur avec des yeux, des bras et des jambes. Mais ce cœur était presque complètement déchiré en deux et les deux morceaux étaient déchiquetés.

Je me suis demandé pendant deux jours pourquoi j’avais eu cette pensée jusqu’à ce qu’un matin, Dieu me dise : « Si tu ne savais pas qu’il était brisé, comment pourrais-tu me demander de le guérir? »

Je me suis dit : « Je ne sais pas. Je croyais simplement que je finirais par guérir. On dit que le temps guérit bien des blessures. » En fait, les blessures guérissent avec le temps, mais les fractures ne guérissent correctement que si un médecin remet d’abord les os bien en place. Puis une question m’est venue en tête : « Désires-tu être guérie? »

Quelle bonne question! Il fut un temps où je croyais que la mort aurait été une meilleure issue. Mais j’ai décidé de répondre que je voulais être guérie. Dieu a entrepris ma guérison dès ce jour-là en plaçant délicatement ses mains autour de mon cœur pour rassembler les morceaux brisés. Tout comme les os, les cœurs brisés ont besoin de l’intervention d’un médecin pour guérir. On dit souvent que Dieu est le grand médecin et ce jour-là, il a remis en place les morceaux de mon cœur afin que la guérison puisse s’opérer.

Une nouvelle définition de la vie normale

Je savais que ma vie ne pourrait plus jamais être telle qu’elle avait été auparavant. La vie normale d’alors, c’était de vivre avec John, de rire avec lui et de prendre mes repas avec lui. Mais j’avais espoir qu’un jour, je ne me sentirais plus comme une étrangère dans ma propre vie. Dieu avait encore des projets pour moi.

Un an plus tard, alors que je me sentais encore bien fragile, j’ai trouvé le courage de poser une autre question à Dieu. Je me demandais si j’avais fait du progrès. Les mots suivants me sont alors venus à l’esprit : « Tu es exactement là où tu devrais être. » Je n’avais pas devancé le plan de Dieu et je n’étais pas en retard sur son horaire. J’étais exactement où je devais être. Quel réconfort! Dieu ne m’avait pas oubliée.

J’étais étonnée. Dieu ne se préoccupait pas de ma performance. Je n’avais pas à être une veuve qui donne l’impression que tout va bien. Il ne voulait pas que je projette une image, que je soigne ma douleur avec des médicaments ou que j’attende qu’elle se dissipe. Il avait dit qu’il en prendrait soin et c’était ce qu’il faisait. Je n’avais qu’à le laisser agir.

Peu de temps après, l‘ancien directeur de John est venu me parler. Je me demandais ce que les gens attendaient de moi. Je travaillais dans le ministère depuis de nombreuses années. Je me demandais comment les chrétiens devaient vivre avec la peine. Cet homme m’a dit : « Ev, ne nous laisse pas te mettre sur un piédestal. Si tu as besoin de pleurer, n’hésite pas. Si tu n’en éprouves pas le besoin, ne te sens pas forcée. » Il me rappelait que Dieu ne voulait pas que je me comporte de façon surhumaine dans cette situation. Il voulait tout simplement que je le laisse s’occuper de ma situation de façon surhumaine. Les chrétiens pleurent aussi. Nous sommes affligés et nous nous questionnons, mais toujours en gardant l’espoir, sachant que Dieu est tout près de nous.

La vie après le deuil

J'écris ces paroles alors que j’en suis à la fin de la troisième année de ce moment qui a bouleversé ma vie. Dieu me montre que je peux arriver à me débrouiller toute seule. Ma voiture roule toujours et je n’ai pas encore mis le feu à la maison. Dieu me montre qu’on peut survivre au deuil. Il m’arrive encore d’avancer de deux pas et de reculer de trois, mais Dieu m’accepte comme lui seul le peut et me couvre constamment de ses cadeaux d’amour. Il m’a gardée en sécurité et en santé et m’a donné, il y a six mois, une nouvelle petite-fille à chérir.

J’ai trouvé ces mots sur une carte. Ils expriment à merveille ce que je ressens : « C’est lorsque nous ne pouvons pas comprendre les desseins de Dieu que nous avons le plus besoin de ressentir son amour. » Un de mes versets préférés de la Bible est le vingt-et-unième du livre de Jude, « Maintenez-vous dans l’amour de Dieu. »

La joie et la peine ne sont pas incompatibles. Vous pouvez trouver la paix et même la joie au cœur de la tourmente si vous demandez à Dieu de vous remplir de son Esprit. Il veut réparer les cœurs brisés. Dieu a donné son Esprit comme acompte des biens à venir (2 Corinthiens 1.22), l’espoir de la vie éternelle au ciel.


Source de la photo : Ayanna Johnson sur Unsplash